15

Les Jedi portés disparus attendaient aux côtés de leur escadron de fortune. Un petit espace de quiétude dans une tempête d’activités insectes. Les Chevaliers, qui portaient toujours leurs combinaisons de vol, regardèrent atterrir l’Ombre et le Faucon. Tesar et Zekk affichaient un petit air coupable. Jaina et Alema, un air de défi. Quant à Tahiri et Jacen, ils ne laissaient paraître aucune émotion.

Mara prit son temps pour désactiver tous les systèmes de l’appareil, laissant volontairement monter le suspense tout en examinant minutieusement le hangar caverneux, à la recherche d’une quelconque sensation de danger à l’intérieur de la Force. Il existait peu de chances que Jaina et les autres aient été impliqués dans l’attaque de l’Ombre, mais quelqu’un avait cherché à s’en prendre à sa famille – et ce quelqu’un ressemblait sûrement à un Killik. A l’opposé de Luke, elle était intimement convaincue que Raynar Thul était prêt à tout pour garder Jaina et les autres au sein de la Colonie. Même si cela consistait à dresser une embuscade à ses vieilles connaissances.

Ne percevant aucun signe de danger, Mara rejoignit les autres dans la cabine principale de l’Ombre. Malgré une transe de repos d’une demi-heure, Luke ressemblait toujours à un évadé d’une mine d’épice. Ben, quant à lui, semblait impatient de rencontrer ses cousins.

— Ben, j’espère que tu te rappelles que l’on doit discuter avec Jaina et les autres ? demanda Mara en lui prenant la main.

— Je ne suis pas un Gamorréen, maman, répondit-il. Vous n’auriez pas fait tout ce chemin si c’était pas important.

— Parfait. Tu peux aller saluer tes cousins. Mais ensuite, Nanna te confiera à Cakhmaim et Meewalh. (Elle se tourna vers Nanna.) Dis-leur de surveiller le Faucon. Et je m’en fiche si ça déplaît aux Killik.

— J’allais moi-même vous le proposer, répondit la droïd.

Mara hocha la tête et ouvrit le sas. Une forte odeur de carburant vint immédiatement leur titiller les narines. Ben dévala les quelques marches telle une fusée et fila se jeter dans les bras de Jaina. Elle rit et le serra chaleureusement.

— Moi aussi, je suis contente de te voir, Ben, dit Jaina. (Elle fit un pas en arrière et étudia le petit garçon de haut en bas.) Tu as bien grandi, dis-moi.

— Ça fait un an, tu sais. Il lui adressa un petit sourire malicieux avant d’ajouter : Vous allez avoir de gros soucis. Moi je vous le dis, les gars.

— J’imagine, répondit Jaina.

— En tout cas, j’espère qu’ils ne vous confisqueront pas vos sabres laser ou un truc comme ça.

Un éclair zébra dans les yeux de Jaina, mais Ben ne parut pas le remarquer. Il se tourna vers Jacen, qui était devenu un beau jeune homme avec une barbe épaisse et des yeux bruns songeurs.

— Salut Ben. Je suis ton cousin Jacen.

— Je te connais. Tu es parti quand j’avais deux ans. Dis, au fait, tu l’as trouvée ?

La question surprit davantage Mara que Jacen.

— En partie, répondit-il.

— Tu vas devoir y retourner ? demanda Ben en baissant la tête.

— Non. Cette partie manquante, je ne la trouverai jamais.

Ben acquiesça sagement et se tourna vers le Faucon.

— Il faut que j’y aille. Mais on se verra plus tard.

— OK, fit Jacen. Ça me plairait beaucoup.

Ben glissa sa main dans celle de Nanna et s’engagea vers le Faucon, laissant Mara seule face aux jeunes Chevaliers. Elle commença par étudier en silence chacun d’entre eux, jaugeant leurs humeurs pour finalement se heurter à l’indéchiffrable mur de duracier caractéristique de guerriers expérimentés.

— Ça, c’est une surprise, finit par déclarer Jaina en tendant le bras.

— J’en suis persuadée, fit Leia qui venait d’arriver, accompagnée de Yan, C-3PO et Saba. Raynar ne nous a pas vraiment aidés à vous retrouver.

— Raynar craint que vous cherchiez à nous faire quitter la Colonie, déclara Tahiri Veila. (En cinq ans, elle s’était muée en une sublime femme blonde à la silhouette élancée, au point que Leia faillit ne pas la reconnaître. Mais elle avait toujours les pieds nus et arborait les trois scarifications verticales que les Yuuzhan Vong avaient laissées sur son front.) D’ailleurs, n’est-ce pas la raison de votre venue ?

— Moi aussi, je suis content de te voir, ma belle, se moqua Yan. Que dirais-tu si on se contentait de se dire bonjour ?

— Désolée, nous étions juste en train d’accomplir quelque chose. (Elle tendit les bras et s’avança vers Yan pour une étreinte digne d’un Wookie.) C’est bon de vous voir, Yan.

Lorsqu’elle commença à frotter ses bras contre son dos, Yan trembla et eut la nausée. Tahiri lui adressa un large sourire et vint embrasser Leia, mettant un terme au sentiment général d’embarras. Yan et Leia serrèrent longtemps Jacen et Jaina dans leurs bras. Puis Jaina déclara :

— Bon, qu’est-ce que vous faites ici ? Je ne crois pas que le conseil ait suffisamment de Jedi pour…

Elle s’interrompit à la vision de Luke, et son expression passa du mépris à l’effroi.

— Que-ce que tu as ? demanda-t-elle. Tu es malade ?

— Je vais bien… juste un peu las, c’est tout, répondit-il. Nous sommes venus pour, euh, parler de ce qui se passe ici.

— Vous avez impunément abandonné l’ordre, ajouta Mara, afin d’obliger les Jedi à s’excuser. Le fait de perdre l’un d’entre vous était déjà gravissime, alors cinq…

Comme elle s’y attendait, Jaina ne se laissa pas intimider.

— Dans ce cas, pourquoi l’ordre a-t-il envoyé quatre nouveaux Jedi ?

— Le conseil a estimé que la situation en valait la peine, expliqua Luke. Et maintenant, l’ordre est privé de neuf Jedi.

— Il est arrivé quelque chose, Maître Zkywalker ? demanda Tesar d’une voix râpeuse.

— Vous d’abord, ordonna Mara. Que faites-vous ici, exactement ?

Jaina et les autres partagèrent un moment de communion silencieuse, puis, à la surprise de tous, Alema Rar fit un pas en avant.

— Nous essayons d’empêcher une guerre, dit-elle. N’est-ce pas ce que les Jedi sont censés faire ?

— Vous êtes au courant au sujet de l’appel… ? ajouta Zekk.

Luke hocha la tête.

— Ce n’était pas quelque chose que nous pouvions ignorer, surtout à la fin, poursuivit Tahiri.

— Il fallait que nouz venions, fit Tesar en se tournant vers sa mère.

Ils s’interrompirent, persuadés d’avoir répondu à la question.

— C’est la raison de votre venue ici, observa Leia. Mais pas ce que vous y faites.

Un petit Killik au thorax vert et aux minuscules ailes s’approcha et commença à caresser le bras de Jaina avec ses antennes, puis il tambourina quelque chose sur sa poitrine.

— L’insecte nous informe que les FurtiXs se sont reposés et qu’ils ont été nourris, traduisit C-3PO.

— Ce qui veut dire ravitaillés et armés, corrigea Jaina. Elle tapota les antennes du Killik et déclara : Merci. Nous partirons bientôt.

— Lowie va devoir se tenir prêt, expliqua Zekk. On va aller le récupérer.

— Avec ses bombes furtives ? demanda Mara. (Elle pointa le doigt sur une rangée de torpilles prêtes à être positionnées sur les FurtiXs. Même à dix mètres de distance, il était évident que les charges avaient été remplacées par du baradium gonflé à bloc.) Ce n’est pas vraiment un équipement de sauvetage.

— Il nous faudra peut-être créer une diversion, admit Alema.

— Sans blague ? se moqua de nouveau Yan. Tu veux dire, en pulvérisant les Chiss ?

— Personne ne va nulle part, fit Mara. Pas tant qu’on n’a pas nos réponses. Les choses sont bien trop incontrôlables.

Le visage de Jaina se durcit.

— Je suis désolée, mais je ne laisse pas Lowie dans cet état…

— Lowbacca s’est plongé dans une hibernation de Force, l’interrompit Luke. Il est sain et sauf.

— Et plus tôt on aura les réponses, plus tôt on récupérera Lowbacca, ma belle, dit Yan.

Jaina et les autres se concertèrent mentalement, puis elle acquiesça.

— Très bien. Vous voulez voir de quoi il s’agit, alors suivez-nous.

Elle prit la tête du cortège et s’engagea dans le hangar. Ils dépassèrent plusieurs rangées de postes d’amarrage pour vaisseaux-flèches. L’espace était empli de tuyaux de ravitaillement et de techniciens Killik. Leur technologie demeurait primaire, mais les insectes se montraient incroyablement efficaces, travaillant comme des acharnés dans un espace restreint. On percevait également, dans cette atmosphère aux odeurs de fuel, un faible bourdonnement rythmé. On aurait dit un bruit de machine. Mais en tendant l’oreille, on pouvait deviner qu’il provenait des créatures elles-mêmes.

Mara se tourna vers Tahiri qui marchait à ses côtés et demanda :

— Ce bruit… Ils sont en train de chanter ?

Ce fut Alema qui répondit :

— C’est plus une sorte de bourdonnement.

— Ils le font dès qu’ils se conzentrent, ajouta Tesar. Pluz ils travaillent dur, pluz on l’entend.

— C’est leur contribution au Chant de l’Univers, expliqua Tahiri.

— Je n’ai jamais entendu un chant comme ça, déclara Yan, une foulée de Bantha serait plus rythmée.

— C’est parce que vous n’entendez pas toute la chanson, expliqua Zekk. Seules les espèces insectes le peuvent.

— Ah ouais ? (Yan haussa les épaules et se tourna vers Jacen.) Tu l’entends, toi ?

— Non. (Jacen lui adressa un sourire en coin.) Mais à défaut de me répéter, je ne suis ici que depuis un mois.

— Du calme, papa, fit Jaina, toujours à la tête du groupe. On ne l’entend pas non plus.

Yan laissa échapper un long soupir bien sonore, puis Jaina s’immobilisa soudain devant un poste d’amarrage vide et se pencha pour se glisser dans une sorte de cavité cireuse.

C-3PO se stoppa à son tour.

— Cela ne ressemble pas vraiment à un couloir, Maîtresse Jaina.

— Tu peux toujours rester là, 3PO, proposa Yan tout en observant six ouvriers Killik en train de transporter un vaisseau-flèche endommagé. Je suis sûr que ces cafards manquent de pièces détachées.

— Je ne faisais que discuter, Capitaine Solo.

Le droïd de protocole s’accroupit et suivit Jaina dans le passage.

— Pardon pour ça, dit Zekk derrière Mara. Ils ne connaissaient pas l’existence d’espèces plus grandes quand ils ont creusé ces tunnels.

— Pas de problème. On n’est pas si vieux que ça, fit Mara. Où allons-nous, au fait ?

— Vous verrez, dit-il. Nous y sommes presque.

La Force fut frappée par une sensation de douleur et de peur, et l’air humide commença à s’emplir des odeurs nauséabondes de sang, de brûlures et de bacta. Quelques secondes plus tard, ils atterrirent dans une vaste pièce oblongue entourée de centaines de couchettes murales hexagonales. Dans les espaces ouverts de la salle, une multitude de guérisseurs Killik s’affairaient à soigner les blessés, crachant une sorte de salive antiseptique sur leurs plaies, étalant un enduit étanche sur les perforations, rafistolant la chitine déchiquetée tout en extirpant des morceaux d’obus des organes internes. De légers ronronnements de gratitude s’échappaient du thorax de leurs patients insectes reconnaissants. Mais les Chiss – enfin, ceux qui étaient toujours conscients – fixaient les créatures avec des yeux horrifiés.

Une infirmière verdâtre s’approcha du groupe et frotta ses antennes contre le bras de Jaina. Puis elle observa Luke et tambourina une question.

— Oh, Seigneur, dit C-3PO. Elle ne sait pas de quoi souffre Maître Luke !

— Il va très bien, Taat, dit Jaina à l’insecte. Nous allons tous bien. Nous désirons simplement jeter un œil à l’infirmerie.

L’infirmière insecte vint plus près de Luke et commença à l’examiner avec ses yeux bulbeux. Puis elle fit claquer ses mandibules, suspicieusement.

— Je suis juste légèrement brûlé, assura Luke.

L’infirmière agita ses antennes avant de se précipiter au chevet d’un Chiss mal en point. Le patient semblait peu apprécier la présence de guérisseurs Killik en train de fourrager ses entrailles.

— Les Taat ne zont pas cruels, indiqua Tesar. Mais ils zont extrêmement stoïques. Ils n’utilizent pas d’anesthéziant eux-mêmes.

— Et lorsqu’ils s’en procurent pour d’autres espèces, ils ne font jamais les bons dosages, ajouta Jaina. Ils ont décidé qu’il était plus rapide et efficace de s’en passer.

— Tu parles, s’offusqua Yan en contemplant le carnage. C’est surtout parce qu’ils aiment ça, ouais.

— Absolument pas, réagit Zekk. L’Espèce constitue le groupe ethnique le plus doux et clément que je n’ai jamais rencontré.

— Ils n’ont aucune malveillance, admit Alema. (Elle indiqua l’une des couchettes, où un trio de Killik s’occupait de la jambe brisée d’un patient Chiss à moitié conscient.) Une fois l’offensive terminée, ils prennent soin de leurs assaillants. Ils ne les emprisonnent pas.

— Je ne crois pas que ça marche vraiment avec les Chiss, observa Leia. Que se passe-t-il lorsque les prisonniers attaquent ?

— Leur ezcorte les emmène izi pour observation, indiqua Tesar. Ils penzent que les autres espèzes sont agressives zeulement parce qu’elles rezzentent la douleur leur tenailler le ventre. Alors ils cherchent la zource de le la douleur…

— Les Chiss finissent par s’en rendre compte et cessent d’attaquer, ajouta Tahiri.

— Eh bien moi, j’essaierais surtout de déguerpir de cette maison des horreurs, intervint Yan, dégoûté.

— Papa, les Chiss ne s’évadent pas, observa Jaina. Ils sont libres de partir quand bon leur semble. Du moins, s’ils arrivent à trouver le chemin.

Yan lui adressa un petit sourire malicieux.

— Il y a toujours un truc.

— Toujours, admit Alema.

— Mais ce n’est pas ce que vous pensez, ajouta Zekk.

— Les Chiss ne récupèrent pas les leurs, conclut Tesar.

— Je vous crois, fit Mara. (La vilaine habitude qu’avaient les jeunes Jedi de parler vite et de finir les phrases des autres commençait à l’agacer prodigieusement.) J’ai du mal à imaginer les Chiss en train d’échanger des prisonniers.

— Oh, mais nous ne parlons pas d’échanges, dit Jaina.

— Les Chiss ne viennent pas du tout les récupérer, expliqua Tahiri.

— Avant que l’on arrive ici, les prisonniers avaient l’habitude de voler les navettes de transport et essayaient de s’enfuir par eux-mêmes, déclara Alema. Les Chiss les chassaient instantanément.

— Mais c’est horrible ! fit C-3PO, compatissant. Quel est leur sort désormais ?

— Quelques-uns s’en vont. La plupart restent et rejoignent le nid, expliqua Jaina.

Mara fut prise d’une secousse intérieure. Elle regarda au centre de la pièce, où Tekli et plusieurs aides-soignants Chiss venaient de créer un bloc opératoire de fortune sous la lumière d’une douzaine de boules éclairantes aux reflets bleutés, puis elle se tourna vers Jaina.

— Et ça ne vous ennuie pas ? demanda-t-elle.

— Non, répondit Zekk en fronçant les sourcils. Pourquoi ?

— Parce que ce sont des Affiliés, voilà pourquoi, le coupa Yan. Ils n’ont plus le contrôle de leur esprit.

— En réalité, ils ont deux esprits, fit Jacen, qui s’exprimait pour la première fois depuis qu’ils étaient entrés dans l’infirmerie. Ils ont toujours leur propre esprit, mais ils partagent également l’esprit commun du nid.

Yan fit la grimace mais Mara se sentit soulagée. Au moins, Jacen ne semblait pas encore sous l’emprise de l’esprit Killik.

Au bout d’un moment, Yan finit par déclarer :

— Un conseil : ne me dis surtout pas que c’est une bonne chose.

— Ce n’est pas une bonne chose, papa, répondit Jacen. C’est juste un fait. Ce qui te dérange, c’est que la Volonté de l’esprit du nid est plus puissante que celle d’un esprit individuel.

— Ouais. (Yan dévisagea Jaina et les autres jeunes Chevaliers.) Ça me dérange. Un max, même.

— Et cela doit certainement perturber les Chiss, observa Leia.

— Mais ça ne justifie en aucun cas le génocide d’autres espèces, s’indigna Jaina.

— C’est une accusation grave que tu fais là, dit Luke. Cela ne leur ressemble pas. Les Chiss ont des lois très strictes en matière d’agression.

— Vous ne savez pas de quoi ils sont capables, déclara Alema d’une voix pleine d’amertume. Ils gardent les prisonniers de l’Espèce dans des cellules d’isolation, à bord d’un vaisseau pénitencier qui dérive en liberté. Et ils les font mourir de faim.

— Comment sais-tu cela ? demanda Leia. Les Chiss ne laisseraient jamais personne inspecter leurs prisons.

— Un Affilié Chiss nous l’a révélé, expliqua Jacen.

— Je veux bien croire aux vaisseaux pénitenciers, admit Mara. Mais j’ai du mal à les imaginer affamer leurs prisonniers. Les codes de conduite ne l’autoriseraient pas.

— C’est parce que la mort est accidentelle, reprit Jacen. En fait, ils essaient de nourrir leurs prisonniers.

— Pas compliqué de deviner ce que mange un cafard, fit remarquer Yan.

— Pas ce qu’ils mangent, papa. Mais comment, poursuivit Jacen. (Faisant signe au groupe de le suivre, il s’engagea dans l’entrée principale de l’infirmerie.) Vous allez comprendre.

Jacen guida le groupe à l’intérieur d’un immense couloir recouvert de cire et rempli de travailleurs Killik. La plupart d’entre eux étaient en train de soulever de lourdes cargaisons. D’autres ne transportaient qu’une seule petite pierre, souvent lisse et de couleur vive, cherchant l’emplacement parfait pour y fixer leur trésor parmi les grappes de cailloux parsemant les murs.

— C’est donc comme ça qu’ils composent les mosaïques, observa Leia.

— Un caillou à la fois, expliqua Jaina. Dès qu’une Killik tombe sur un joli caillou, elle cesse tout autre activité et retourne au nid pour trouver l’emplacement parfait. Cela peut parfois prendre des jours.

L’admiration de Jaina à l’égard des insectes sembla surprendre Mara. D’habitude, sa nièce était bien trop préoccupée par les stratégies et autres tactiques militaires pour s’intéresser à l’art.

— Elle ? demanda Leia. Les mâles n’y participent pas ?

— Les mâles sont peu nombreux, expliqua Zekk.

— Et ils ne quittent leur nid que quand il est temps d’en établir un nouveau, ajouta Alema.

Le corridor donna sur un virage et, quelques secondes plus tard, ils se retrouvèrent tous au bord d’un impressionnant gouffre à l’odeur nauséabonde et si faiblement éclairé que Yan faillit presque chuter. Une sensation de terreur intense s’immisça au cœur de la Force et ils hésitèrent un temps à entrer.

— C’est l’endroit du nid où il y a le plus d’activité, fit Jacen dont la voix était étouffée par les claquements de mandibules et les tambourinages de thorax. La caverne des larves.

Soudain, Mara réalisa que la pièce grouillait littéralement de Killik, rampant tranquillement au-dessus d’une vaste étendue de cellules hexagonales. La moitié de ces cellules étaient vides. Certaines étaient recouvertes d’un socle de cire. Les autres contenaient les corps trapus et gigotants des larves Killik.

Chaque larve était prise en charge par un adulte, qui s’affairait soit à lui nettoyer la tête, soit à la nourrir de petits morceaux de nourriture préalablement broyés. Tandis que le groupe contemplait le spectacle, une des larves les plus proches régurgita une sorte de sirop marron et odorant. L’insecte adulte fit jaillir une trompe semblable à une langue et aspira rapidement le fluide avant de lâcher un rot retentissant et de quitter les lieux. Un nouveau Killik prit instantanément sa place.

— Beurk ! s’écria Yan. Ne me dites pas qu’ils mangent ça !

— Ce n’est pas si inhabituel, fit Jacen. Il existe des abeilles et des guêpes dans la galaxie qui se nourrissent de la sorte. Cela produit une structure sociale particulièrement stable.

Yan se tourna vers Leia.

— Je ne t’avais pas dit que ça allait arriver ? On l’a laissé jouer avec trop d’animaux de compagnie bizarroïdes quand il était petit.

— Mais cela n’explique toujours pas pourquoi les Chiss meurent de faim, observa Leia tout en ignorant la plaisanterie de son mari. Sans les larves, les prisonniers sont incapables de se nourrir.

— Vous laissez entendre que c’est un accident, mais c’est faux, s’indigna Zekk. Les Chiss tentent d’affamer tous les nids de Qoribu pour les forcer à plier bagage.

— Mais ils ne peuvent pas partir, poursuivit amèrement Alema. Même s’ils trouvaient un endroit où aller, chacun des nids devrait dénicher un vaisseau de la taille d’un Destroyer Stellaire et il leur faudrait des mois de préparation. Ils seraient obligés de reconstruire un nid entier à l’intérieur de l’appareil.

— Ce n’est pas une réponse, de toute manière, fit Jaina. Ce n’est pas l’Espace Chiss ici. Les Killik ne sont que d’innocentes victimes.

— Des victimes, c’est fort possible, dit Mara. Mais pas innocentes.

Jaina lui lança un regard de défi, mais sa voix resta calme.

— Tu ne connais rien de la situation. Ce système…

— Tout ce que je sais, c’est qu’en venant ici, l’Ombre a été attaqué par des Killik, déclara Mara.

— Vos parlez de vos petits soucis à l’aller ? demanda Jacen. Je me demandais d’ailleurs de quoi il s’agissait.

— Et nous donc, rétorqua sèchement Yan.

— Vous penzez qu’il s’agissait de Killik ? demanda Tesar.

— On zait reconnaître un vaisseau-flèche, lui répondit Saba. Sauf qu’ici, ils étaient équipés de fuzées à hydrogène.

— A hydrogène ? répéta Zekk. C’est impossible.

Il échangea un regard confus avec le reste de ses camarades, puis Jaina expliqua :

— Nous avons déjà essayé de les convaincre d’utiliser des fusées à hydrogène, mais ils produisent leur méthane eux-mêmes.

— Qu’insinues-tu ? demanda Leia. Qu’on a inventé cette histoire ?

Les jeunes Chevaliers Jedi parurent embarrassés puis Tahiri finit par déclarer :

— Nous disons simplement que rien de tout cela n’a de sens. L’Espèce ne peut vous avoir attaqués, vous ne nous mentez pas et aucun des nids ne dispose de fusées à hydrogène…

— Et ces fichus cratères sur ma carlingue, ils viennent d’où, hein ? demanda Mara en continuant de fixer Jaina. Vous ne pensez pas que vous faites fausse route au sujet de ces insectes ?

Jaina ne détourna nullement le regard.

— C’est juste impossible. Elle fit signe à un Killik d’approcher puis déclara : Nos amis disent s’être fait attaquer par une nuée équipée de fusées à hydrogène. Est-ce que les nids… ?

Le thorax de l’insecte émit une sorte de gargouillement.

— Elle affirme qu’il s’agit de Chiss se faisant passer pour des membres de l’Espèce, traduisit C-3PO. Ils essaient de chasser les Protecteurs.

— Ce n’étaient pas des Chiss, reprit Mara. J’ai vu les pilotes. Ils étaient insectes.

La Killik tambourina aussitôt une réponse.

— Il y a de nombreuses espèces d’insectes dans la galaxie. Les Chiss ont pu en embaucher, traduisit le droïd de protocole.

— Ça me paraît peu probable, observa Leia. Les Chiss sont plutôt arrogants et… élitistes.

— C’étaient bien des Killik, intervint Luke, avant de se tourner vers Jaina. Nous en avons vu assez. Reconduis-nous au hangar.

— Pas encore, dit Jaina. Vous n’avez toujours pas compris…

— Nous avons compris ce qu’il y avait à comprendre, poursuivit Luke. La situation est aussi confuse qu’elle est volatile, et votre équipe a perdu la neutralité exigée chez les Chevaliers Jedi. Les Maîtres vous demandent par conséquent de retourner sur Coruscant.

Mara tressauta intérieurement. A l’instar de Kyp, Corran et de plusieurs autres Maîtres, elle croyait que l’Ordre Jedi devait imposer l’obéissance à ces Chevaliers et pas simplement la « demander ». Luke préférait leur laisser une liberté de choix.

Jaina fut bien évidemment la première à réagir.

— Le Conseil se fait du souci pour notre neutralité ? Ou pour la relation entre l’Alliance Galactique et les Chiss ?

— Pour l’heure, ils se soucient surtout de votre cas. N’importe quel Jedi devrait reconnaître l’importance d’une bonne entente avec les Chiss. Les zones qu’ils surveillent le long de la frontière sont les seules à n’avoir jamais connu aucun acte de piraterie et de contrebande.

— Les Jedi ne sont pas les serviteurs de l’Alliance Galactique, rétorqua Alema.

— Non, c’est vrai, admit Luke. Mais une Alliance Galactique en paix constitue l’un des fondements d’une galaxie en paix. Et les Jedi servent la paix. Si la Reconstruction échoue et que l’Alliance Galactique plonge dans l’anarchie, alors la galaxie risque fort de subir le même sort.

— Et que se passe-t-il quand on défend les opprimés ? demanda Zekk. Que l’on se sacrifie pour eux ?

— Ce sont des actes dignes de valeur, répondit Luke. Mais ils n’empêcheront pas la galaxie de sombrer dans le chaos.

— Alors, nous devons abandonner les Killik pour le bien des conglomérats de RePlanetHab ? demanda Jaina. N’est-ce pas ainsi que Palpati… ?

— Je t’interdis de dire ça ! (Mara vint coller son visage à deux doigts de celui de sa nièce.) Il est déjà gravissime de quitter vos postes et de nous obliger à venir vous chercher. Je t’interdis formellement d’oser faire la comparaison. Il y a des choses que je ne tolérerai jamais. Même venant de toi, Jaina Solo !

Totalement sous le choc, Jaina ouvrit les yeux en grand. Elle fixa Mara pendant un bon bout de temps, émettant quelques légers cliquetis avec la gorge, hésitant entre lui présenter ses excuses et contre-attaquer. A son crédit, Luke n’intervint pas. Il resta simplement à attendre quelle décision Jaina allait prendre.

Finalement, le visage de sa nièce s’adoucit.

— J’ai été maladroite. Je n’ai jamais voulu insinuer qu’oncle Luke pouvait ressembler en quoi que ce soit à l’Empereur.

Mara considéra sa remarque comme une excuse.

— Je suis contente de l’entendre.

— Et personne ne va abandonner les Killik, fit Luke. Je m’inquiète juste pour vous… chacun d’entre vous.

— Vous avez perdu votre objectivité et vous avez pris parti, reprit Mara. Vous avez ouvertement combattu aux côtés des Killik. Et cela veut dire que vous n’avez aucune chance de résoudre le problème. Pour parler franchement, vous êtes à moitié Affiliés désormais. Je pense sincèrement que vous devriez retourner sur Coruscant.

— Nous avons vu ce que Raynar est devenu et l’ordre ne peut se permettre de perdre davantage de Jedi, poursuivit Luke.

— Et qu’en est-il des Killik ? demanda Tahiri. Sans notre aide, les Chiss pourront librement…

— Saba reztera, déclara la Barabel. Jusqu’à ce que Maître Skywalker z’entretienne avec l’Aristocra Tswek, elle fera comprendre aux Chisz que les Jedi zont toujours aux aguets.

— Toute zeule ? demanda Tesar.

— Toute zeule, acquiesça Saba.

Tesar sourit, frappa sa queue contre le sol et cogna son crâne contre celui de sa mère.

— Bonne chasse.

— Et le reste d’entre vous ? demanda Mara.

Jaina émit un long soupir avant de se tourner vers Leia.

— Tu as été étonnamment calme, maman.

— Je ne suis pas Maître.

— Je le sais, répondit Jaina. Mais que penses-tu de tout ça ?

Leia haussa les sourcils, apparemment sous le choc.

— Tu me demandes quoi faire ?

— Ne fais pas l’étonnée, rétorqua Jaina. Je sais ce que papa et toi pensez de l’Alliance Galactique. Vous êtes les seuls ici à ne pas avoir d’obligations.

— Oh mais détrompe-toi, dit Leia en souriant. Ton père et moi avons fait tout ce chemin pour voir si toi et Jacen vous portiez bien.

Jaina roula des yeux.

— Comme s’il pouvait nous arriver quelque chose. Dis-moi juste ce que tu penses.

— Je pense que vous ne faites qu’empirer la situation.

— Empirer ? répéta Alema. (Ses lekku semblaient se tordre de douleur.) Qu’en savez-vous ? Vous n’êtes là que…

Jaina observa la Twi’lek du coin de l’œil et celle-ci se tut aussitôt.

— Merci, reprit Leia. Comme je le disais, votre présence constitue une provocation aux yeux des Chiss. Ils vont continuer à faire pression, et vous allez vous retrouvez à devoir commencer une guerre que vous auriez pu éviter.

— Eviter ? demanda Tahiri. Comment ?

— Je ne le sais pas. Du moins, pas encore, admit Leia. Mais je peux vous dire comment la provoquer : en vous en prenant aux forces Chiss.

Jaina se tourna vers ses compagnons. Les Killik alentour émirent un énorme boom et commencèrent à se disperser. Puis Tesar, Jacen et Tahiri s’engagèrent à leur tour dans le couloir.

— Nous partons avec vous, dit Tahiri.

— Tekli fera de même, ajouta Tesar.

— Ça n’en fait que la moitié, observa Mara avant de hausser les sourcils en direction de Jaina et des deux autres Jedi restants. Et vous trois ?

— Nous quatre, rectifia Jaina. Tu as oublié de compter Lowbacca.